Il peut sembler surprenant que des psychiatres et psychothérapeutes prennent position face à la menace d’extradition relancée récemment à l’encontre de dix Italiens qui ont trouvé refuge en France depuis trente à quarante ans et qui pacifiquement y ont «refait leur vie».

Car il s’agit d’abord d’une affaire politique dont on connaît les circonstances et les conséquences. Dans les années 70 en Italie dans un climat de grandes tensions sociales et de violence (attentats d’extrême droite) des militants d’extrême gauche ont fait le choix d’une exacerbation des mouvements de révoltes parfois jusqu’à la lutte armée. Plus tard pour qualifier cette époque des commentateurs parleront de «guerre civile de basse intensité». Afin de retrouver la paix devaient alors être posées les conditions qui permettraient d’y parvenir.

Elu à la présidence de la République française en 1981 François Mitterrand en offrira l’opportunité. Conformément à son programme il engagera l’Etat français à accorder l’asile à ceux des militants qui renonçant à la violence et sortant de la clandestinité viendraient s’installer pacifiquement sur le territoire français. Cette décision prise en concertation avec le gouvernement italien de l’époque sera réaffirmée très officiellement lors d’un congrès de la Ligue des droits de l’homme en 1985. Cette prise de position qui allait désormais engager l’Etat français était tout sauf naïve mais plutôt pragmatique et humaine. Comme il l’expliquera : «En matière de terrorisme l’essentiel est moins de savoir comment on y est entré que de trouver comment en sortir.» Et l’option qu’il avait prise allait se révéler probante.

Poursuivis par la police et la justice de leur pays un bon nombre de militants italiens viendront alors chercher asile en France respectant à la lettre les conditions posées par François Mitterrand. Chacun à sa manière se montrera fidèle au pacte qui leur avait été proposé : tous apprendront notre langue parfois reprendront des études trouveront un emploi fonderont une famille et très officiellement avec l’accord de l’administration obtiendront des titres de séjour constamment renouvelés.

Par la suite à quelques malheureuses exceptions près (l’extradition frauduleuse de Paolo Persichetti en 2002) aucun des gouvernements successifs ne remettra en cause cette ligne de conduite car l’insertion des «asilés» italiens accueillis en France sera en tout point exemplaire. Même le président Sarkozy plus récemment renoncera à l’extradition de l’une d’entre eux.

Sur le plan juridique la défense de ces personnes a de solides arguments à faire valoir.

Mais ce n’est pas sur ce thème que nous voulons attirer l’attention. Au printemps 2021 la décision du président Macron de rouvrir le dossier d’extradition à la demande de l’Etat italien non seulement rompt un pacte qui avait démontré sa pertinence mais plus encore humainement dénie toute validité à l’effort de reconstruction personnelle à laquelle sont parvenues les personnes incriminées. C’est comme si pour lui le temps s’était arrêté en 1980 comme si la réalité des vies et des parcours existentiels n’avait aucune importance comme si le qualificatif de «terroriste» formulé dans une lointaine époque devait ad vitam aeternam rester accolé à ceux qui justement ont su se déprendre des logiques du terrorisme. Pourtant depuis qu’ils sont en France l’Etat serait bien en peine de leur reprocher quoi que ce soit. De plus toutes les personnes brutalement mises en garde à vue puis déférées devant la justice en vue d’une extradition ont au moins 60 ans voire passablement plus. Les renvoyer vers les geôles italiennes pour un temps qui excédera leur espérance de vie est sans l’avouer bien sûr une manière de les détruire une mise à mort sous couvert d’une pseudo-légalité. La menace qui pèse sur elles ne leur laisse aucune chance. Dépossédées de leur véritable histoire elles n’auront plus d’avenir. Coupées de leurs proches enfants et petits-enfants elles n’auront plus qu’à méditer désespérément entre quatre murs qu’il est interdit de changer de vie quand la possibilité leur en a été offerte.

En haut lieu on veut présenter l’affaire comme le simple apurement judiciaire d’une vieille discorde avec l’Italie dont forcément sans oser le mettre en cause François Mitterrand serait le responsable. C’est une falsification de l’histoire. C’est aussi en conséquence une falsification de l’itinéraire biographique de celles et ceux qui sont incriminés. En niant ainsi leurs parcours de la lutte armée à la paix civile on les dépersonnalise pour les réduire à une figure repoussoir qui satisferait les réflexes pulsionnels primaires de vengeance compatibles avec les manoeuvres de basse politique. On ne veut rien savoir du travail psychique

qu’elles ont dû accomplir pour retrouver en exil un nouvel équilibre souvent avec l’accompagnement de psys qui respectaient leurs décisions. La reprise aberrante d’une menace d’extradition que rien ne justifie aujourd’hui constitue une redoutable entame à leur intégrité personnelle et une manière d’aliéner ce qui faisait leur exemplarité.

Pour chacune d’elles et chacun d’eux résister à une telle entreprise mortifère synonyme de «catastrophe existentielle» a déjà un coût en termes psychopathologiques dont on doit s’inquiéter. Si jamais les décisions d’extradition se confirmaient on pourrait craindre le pire. Mais cette question éthique et clinique importe peu semble-t-il hélas dans les sphères décisionnelles.

C’est pourquoi il est nécessaire que des voix s’élèvent afin de mettre un terme à une sinistre affaire qui au prétexte de la «lutte contre le terrorisme» se trompe manifestement et délibérément de cible sans aucun souci de la vie de celles et ceux qu’elle érige en boucs émissaires alors que depuis quarante ans on ne peut rien leur reprocher.

Premiers signataires :

Pascal Boissel Psychiatre, Paul Bretécher Psychiatre, Alain Cantero Psychiatre, Patrick Chemla Psychiatre, Heitor de Macedo Psychanalyste, Pierre Delion Psychiatre, Delphine Glachant Psychiatre, Serge Hefez Psychiatre, Paul Machto Psychiatre, Antoine Pelissolo Psychiatre.

 

Tous les signataires

Anna Angelopoulos psychanalyste, Olivier Apprill psychanalyste, Marilyne Baranes psychologue, Alain Batelli psychanalyste, Anne Bazin psychanalyste, Dr Pascale Beau psychiatre, Selma Benchelah psychologue, Dr Pascal Boissel psychiatre, Dr Clement Bonnet psychiatre, Jean Pierre Boulau psychiatre, Bernard Bremond psychanalyste, Dr Paul Bretécher psychiatre, Dr Bastien Bucheron psychiatre, Dr Alain Cantero psychiatre, Christine Cartier infirmière, Dr Patrick Chemla psychiatre, Lionel Collart psychologue, Roselyne Crete psychologue, Dr Laura Curutchet psychiatre, Martine da Costa psychologue, Dr Françoise Dalbet psychiatre, Dr Jean Michel de Chaisemartin psychiatre, Dr Jean- Michel Delaroch psychiatre, Dr Pierre Delion psychiatre, Heitor de Macedo psychanalyste, Dr Parviz Denis psychiatre, Jeanne Drevet psychanalyste, Dr Frank Drogoul psychiatre, Lysia Edelstein psychologue, Dr Roger Ferreri psychiatre, Dr  Hélène Filet psychiatre, Dr Jeanne Filliole psychiatre, Françoise Francioli psychologue clinicienne, Dr Philippe Gasser psychiatre, Christine Gaucher psychologue, Sylvette Gendre Dusuzeau psychanalyste, Dr Delphine Glachant psychiatre, Isabelle Gouret psychologue, Valèrie Gregoire psychanalyste, Louise Hasson psychologue, Dr Serge Hefez psychiatre, Liliane Irzenski psychiatre, Françoise Jumeau Rudelle psychanalyste, Pierre Kammerer psychanalyste, Annick Kouba psychologue, Vincent Lapierre psychologue, Dr Julie Lauer psychiatre, Dr Claire Leboursicault psychiatre, Dr Catherine Lemoine psychiatre, Dr Catherine Lesourd psychiatre, Danièlle Lévy psychanalyste, Emile Lombroso psychologue, Dr Stéphanie Malvoisin psychiatre, Dr Judith Maman psychiatre, Dr Catherine Martelli psychiatre, Dr Jean-Pierre Martin psychiatre, Dr Paul Machto psychiatre, Faïka Medjahed psychanalyste, Bernadette Mernier psychologue clinicienne, Simone Molina psychanalyste, José Morel Cinqmars psychologue, Françoise Nielsen psychanalyste, Lucien Nordmann, Martin Pavelkam pédopsychiatre, Pr Antoine Pelissolo psychiatre, Dr Vincent Perdigon psychiatre, Dr Alexandra Pinelli psychiatre, Dr  Jean-Claude Polack psychiatre, Pr François Pommier psychiatre, Dr Anne Rauzy psychiatre, Dr Sylvia Rener psychiatre, Sophie Ronsin psychologue, Dr Pascale Rosemberg psychologue clinicienne, Dr Nathalie Rosso pédopsychiatre, Marie Jeanne Sala psychanalyste, Françoise Tardif psychanalyste, Dr Dominique Terres psychiatre, Bruno Tournaire Bacchini psychiatre, Marie José Vilain psychologue, Dr Georges Yoran Federman psychiatre, Radmila Zigouris psychanalyste…